Les yeux d’un enfant
me regardent
depuis les pages d’un quotidien
et une civilisation de papier journal
(lettres mots science)
se noie dans deux lacs sombres de désespoir
qui masquent des abysses de haine
sans en savoir la raison
les yeux sans défense
d’une créature qui ne sait pas mentir
qui attend un geste de paix
de la part de quelqu’un qui sache lire
non des paroles de papier
mais la vérité de pupilles grandes ouvertes
sur un monde hostile
enfant je t’entends
enfant jamais né
de viscères rendus stériles par la haine
enfant et père
qui tait des mots de condamnation :
muet le regard parle
lourd de douleur
sur l’humanité qui périt
je me sens nue
sous ce regard
(ainsi devant la vie
devant la mort)
nue et inutile
pour ne pas avoir su vivre
pour ne pas savoir mourir
parce que des torrents de paroles de papier
des millénaires de civilisation et d’histoire
(progrès science raison)
n’enlèveront pas à ces yeux
le désespoir
qui invoque une source d’amour
dans un désert de peur
Des yeux immenses
qui trouent l’âme
depuis les étoiles infinies
qui ne peuvent pas rêver
des yeux de papier
qui ne virent pas les cerfs-volants
ni le frémissement des pétales
dans le ciel assombri de croix :
seulement des épines d’acier
qui rendent le désert plus désert
les blessures plus déchirantes
Les yeux d’un enfant
me regardent depuis les pages d’un quotidien :
des yeux écarquillés de stupeur
perdus dans des paysages bouleversés
dans des prés qui ne sourirent jamais
dans des lointains de temps obscur
dans des réalités qui ne savent pas comprendre
et dans ces yeux
se sont creusées des distances sans fin
semblables à des trous noirs dans l’espace
Je voudrais refermer le journal
pour ne pas voir…
mais ce regard
demeure fixe dans mes pupilles
et sans les lettres de l’amour
d’amour encore me parle
sans paroles.
(Traduction Céline Paringaux)