La crise? Quelle crise? Et comment en parler?

En novembre 2018, j’avais demandé à Jean Santilli un article sur les facettes d’une crise générale : celle du journalisme, pour commencer, et celle de l’Europe, entre autres. Il m’avait envoyé le pamphlet qui suit, avec une note « Les 11 et 13 novembre – la Première Guerre mondiale et le Bataclan – devraient être célébrés toute l’année pour nous rappeler que deux jours seulement séparent les conséquences des nationalismes claironnants et des colonialismes plus ou moins camouflés. Deux dates soulignent l’urgence de repenser l’Union Européenne et ses rapports avec le monde. Pour ce faire, l’Académie devrait se réveiller, décrypter la mythologie sanglante de nos nations et de notre civilisation, pour nous parler enfin de l’Histoire de l’Humanité et de son futur. C’est le thème du texte signalé à la fin. » (Paolo Alberto Valenti)

En ce dédale, suivons par exemple le fil qui unit deux célébrations de cette semaine, les 11 et 13 novembre 2018. Le centième anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale tombe à trois ans du Bataclan. Si on voyait le rapport entre ces deux dates, on les célébrerait toute l’année pour comprendre les crises d’aujourd’hui. Deux jours seulement séparent les conséquences des nationalismes claironnants et des colonialismes plus ou moins camouflés. Deux dates soulignent l’urgence de repenser l’Union Européenne et ses rapports avec le monde. Comment en parler ? Les momies du journalisme et des académies humanistes, pour ne parler que de celles-ci, pourraient se réveiller, décrypter la mythologie sanglante de nos nations et de notre civilisation, nous parler enfin de l’Histoire de l’Humanité et de son futur, en une langue vivante. C’est le thème des textes signalés à la fin de ce commentaire sur les 11 et 13 novembre. (Jean Santilli)

Pétain, Jaurès, et La ballade des poilus.

(Chansons françaises, blague belge, sur fond de musique américaine)

 

Frères humains qui après eux vivez, ayez le cœur de célébrer avec moi le centenaire de la Victoire en ce jour béni : 11 novembre 2018. Enfin… avec moi et quelques autres, pour vous rappeler que la roue tourne, mais que ce sont toujours les mêmes liés dessus en place de Grève ; ce sont toujours les mêmes qui se font tuer. On l’a vu dans le dernier massacre en Californie, malgré les efforts de Jaurès qui ne nous rajeunit pas, grâce aux efforts de Pétain, le seul Pétain qui soit, n’en déplaise aux perroquets qui nous rabattent les oreilles avec la fable du Héros de Verdun et du Salaud de Vichy.

Commençons par l’Évangile de Jaurès selon Saint Jacques, à réciter comme seule prière possible en ce Dimanche, ou à chanter en chœur au gueuleton après le dépôt de gerbe.


Ils étaient usés à quinze ans
Ils finissaient en débutant
Les douze mois s'appelaient décembre
Quelle vie ont eu nos grands-parents
Entre l'absinthe et les grands-messes
Ils étaient vieux avant que d'être
Quinze heures par jour le corps en laisse
Laissent au visage un teint de cendres
Oui not’ Monsieur, oui not’ bon Maître
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?
…/…

Si par malheur ils survivaient
C'était pour partir à la guerre
C'était pour finir à la guerre
Aux ordres de quelque sabreur
Qui exigeait du bout des lèvres
Qu'ils aillent offrir au champ d'horreur
Leurs vingt ans qui n'avaient pu naître
Et ils mouraient à pleine peur
Tout miséreux oui not’ bon Maître
Couverts de prêles oui not’ Monsieur
Demandez-vous belle jeunesse
Le temps de l'ombre d'un souvenir
Le temps du souffle d'un soupir
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?

(Jacques Brel 1977 – Première chanson de son dernier album: Les Marquises)

 
Oui, demandez-vous belle jeunesse, pourquoi ?

Dans un bar de Californie il y a quelques jours, un américain bien blanc, pas musulman pour deux sous, un ex-combattant de 28 ans, Marine en Afghanistan, a massacré une douzaine de lycéens qui dansaient insouciants. Pourquoi ? On peut l’imaginer si on sait que la moyenne d’âge des soldats américains morts aux Rizières d’Honneur du Vietnam, c’était 19 ans. Ce qui veut dire, calculette en main, que pour chaque vieux héros de 23 ans qui s’immole sur l’Autel de La Patrie, il faut que deux héros de 17 ans suivent l’exemple lumineux de leur ainé.

Les nuls en maths comprendront mieux en écoutant CNN ce que le père d’un des lycéens californiens dit en sanglotant à un gentil journaliste juste un peu chacal :

- Que ressentez-vous ?
- Mon gosse était un type formidable ; avant de finir le lycée, il avait déjà signé pour s’enrôler dans les Marines, pour se payer l’université; il aurait servi son pays…

Mais le gentil journaliste n’a pas pensé à interviewer le père de l’autre, le tueur, le fou, qui avait servi son pays mais avait oublié de sacrifier sa vie pour La Patrie, alors…

Alors je pense à une expression italienne qui décrit bien l’attitude de ceux qui chantent le patriotisme et l’enseignent aux enfants :

« Sono tutti bravi a fare i froci col culo degli altri. »

Traduction :

« Ils sont tous très forts à jouer aux pédés avec le cul des autres. »

C’est vulgaire n’est-ce pas ? Mais ce qui est obscène, c’est qu’on ose encore verser des larmes de crocodiles repus dans les cimetières militaires, qu’on ose encore dire que les miséreux qui sortaient des tranchées sous la mitraille étaient des Héros et qu’ils sacrifiaient leur vie pour La Patrie. Ils venaient de boire un demi-litre de gnôle pour se donner du cœur au ventre, comme disait le brave adjudant. En bas de l’échelle à grimper au combat pour rejoindre la Gloire, l’adjudant leur braquait son petit pistolet dans le bas du dos. Il ne les aurait pas ratés, lui, alors les mitrailleuses d’en face étaient un risque à courir.

Et Pétain dans tout ça? Ce n’était pas un miséreux. Galonné de belles études, il aurait pu choisir, mais on ne fait pas une belle carrière militaire avec les idéaux de Jaurès.

Le deuxième Pétain a-t-il été un salaud ? Oui, mais moins que le premier Pétain qui savait que ces massacres n’étaient pas inutiles, comme disent certains perroquets qui se croient pacifistes. Ces massacres étaient très utiles, ils étaient même indispensables pour conserver et agrandir l’Empire Colonial qui payait les froufrous de la Belle Époque.

Mais que mangent les empires pour qu’ils deviennent si gras ?!

Chaque Glorieux Empire mange les empires des vaincus en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie, bien entendu ! Et à l’apéro, rien de tel que des amuse-gueules pour se mettre en appétit : quelques millions de troufions qui étaient poilus avant d’avoir été dépoilés au lance-flamme, comme des poulets déjà bien déplumés.

Et quand les Empereurs vainqueurs eurent bien mangé et bien bu – merci petit Jésus – ils passèrent au salon et signèrent le Traité de Versailles, appelé traité de Paix parce que le cognac et le whisky aidant, on a le sens de l’humour. En rotant de plaisir préventif, ils préparèrent le nouveau festin : la Deuxième Guerre Mondiale.

Alors que Lawrence d’Arabie, le rêve des minettes, unissaient les tribus arabes pour déboulonner l’Empire Ottoman, Balfour, tout aussi antisémite et colonialiste que ses compatriotes britanniques, signa une déclaration qui préparait le prochain ring de catch, de l’anglais catch as catch can : chope tout ce que tu peux choper. Une réalité spirituelle, que certains avaient appelé sionisme, fut dégradée à magouille colonialiste.

Le prophète Balfour sema en 1917 une autre graine pour diviser le Moyen-Orient, pour mieux régner. Et tant pis si avant Hitler mais plus discrètement, Balfour contribua dans la non-violence – c’est bien comme cela que l’on dit, n’est-ce pas ? – Balfour contribua disais-je, à la dissolution de milliers de communautés juives de par le monde. On ne fait pas d’omelette sans casser les œufs, surtout si on l’aime baveuse de belles paroles patriotiques et religieuses, et farcie d’un solide retour mercantile. En 1917, Balfour avait déjà compris que dans les décennies à venir, il faudrait mettre un tigre dans notre moteur, ou plutôt, comme dit la publicité originale de Shell que j’aime : Put a tiger in your tank. Il s’agissait bien de tanks, mais le tigre n’était pas Clémenceau.

Georges, Georges, que n’es-tu mort comme Jaurès !…

Qu’en avions-nous à foutre, de trimer pour les Huns ou de marner pour les autres ?

♫ Le chocolat allemand n’aurait pas été amer

avec un peu de sucre dessus.

Joséphine n’aurait pas été moins Baker

avec une banane allemande dans le … !

Bon, d’accord, mais Pétain ? demande nerveux un lecteur pressé.

Pétain savait pourquoi il sacrifiait la vie des autres, et pour qui. Mais avec l’âge…

Le deuxième Pétain a-t-il eu des remords ? Se souvenant des montagnes de cadavres de 14-18, a-t-il voulu limiter la casse en 40 ? Un participant aux affaires de Vichy, un certain Mitterrand, pourrait l’avoir pensé. À ce qu’on dit, il portait des fleurs sur sa tombe, mais sur laquelle ? Sur la tombe du Héros de Verdun ou sur celle du traître qui se déshonora ?

S’il est déshonorable, selon certains, de déserter pour sauver sa peau sans tuer personne, n’est-il pas très honorable d’accepter le déshonneur pour sauver la peau des autres ? C’est au fond ce que chantait Judas dans Jésus-Christ Superstar, d’un déchirement que je crois sincère, que je trouve assez convaincant. Mais je ne serais pas surpris que les curés de Monseigneur Lefèvre et de Sœur Jean-Marie nous expliquent que Pétain à Vichy a fait comme Jésus-Christ : il s’est sacrifié. Les chacals produisent plus de miel que les abeilles.

Pétain a sacrifié son honneur pour sauver la peau de nombreux français ? Ou n’a-t-il pas plutôt pensé comme tant de français, anglais, américains, que Berlin vaut bien une messe ? Comment, sinon, combattre les ennemis des grandes bourgeoisies nationales colonialistes, les socialistes du monde entier qui chantaient une chanson française écrite dans l’hexagone, l’Internationale ?

Dieu que tout cela est compliqué !
À qui le dites-vous, Madame la Marquise. Mais vous vous souvenez de Georges, n’est-ce pas ?
Le tigre ?
Mais non, l’autre Georges, celui auquel vous avez foutu des morpions ; il n’a pas chanté que Les Trompettes de la Renommée. Brassens a aussi chanté Les Deux Oncles :

C'était l'oncle Martin, c'était l'oncle Gaston, 
L'un aimait les Tommies, l'autre aimait les Teutons,
Chacun pour ses amis, tous les deux ils sont morts,
Moi, qui n'aimais personne, eh bien, je vis encore.

Je n’ai pas le talent de Brassens, ni de Brel dont j’ai un peu la hargne, alors contentez-vous d’un deuxième échantillon de vers mauvais. Ils s’inscrivent dans le droit fil de mon sabre à moi. Ils ne forment qu’un refrain rigolard pour une chanson de titi, de trimard, de misérable qui ne cache pas son cul sous un drapeau mais qui aime son pays et qui, pour mieux le défendre, « se borne à ne pas trop emmerder ses voisins » :

♫ Au pluriel Pétain

s’écrit avec deux S,

Comme Crs SS :

Sabreur à Verdun et

Salaud à Vichy.

Choisissez,

Si le cœur vous en dit.

Mais l’heure tourne. Voici qu’arrivent, inexorables, les messages publicitaires.

Un produit miraculeux nous parle des Héros – les vrais, les grecs – et de mensonges beaucoup plus vieux que ceux du Onze Novembre. Ils sont le fondement de notre civilisation. L’antidote, à prendre tous les matins à très petites doses, sera un jour en vente dans les meilleures pharmacies mais il est encore distribué gratuitement par un site académique de San Francisco : https://independent.academia.edu/JeanSantilli

Il s’agit de la dernière version de Notre-Dame Déesse & Le Féminicide des Héros (avec 12 bonus tracks et un quiz)

Pour ceux qui ne voient pas si loin mais se sont lassés des matchs Israël-Palestine, Iran-Arabie Saoudite etc., voici un autre programme diffusé sur la même chaîne académique :

L'U.T.P. - Un changement de paradigme pour le Moyen-Orient


Bon 11 novembre ! Il tombe bien en cette année 2018 : c’est un Dimanche, jour de trêve.

Mais ce 13 novembre tombe mieux : c’est un Mardi, le jour de Mars, Dieu de la Guerre.

Jean Santilli

 


P.S. Je rappelle que

« L’humour est la politesse du désespoir. »

Christian François Bouche-Villeneuve, alias Chris Marker.

 

 

Edito

  • 1
  • 2
  • 3