Paolo Valenti
Les origines de notre association remontent à l’implantation de plus en plus massive en Europe de journalistes italiens mais également d’autres nationalités, principalement expatriés au sein de l’Union Européenne. Des journalistes qui aujourd’hui ne sont plus exclusivement envoyés spéciaux ou correspondants pour l’Italie. Nous avons souhaité mettre en place une forme d’association qui, liée au syndicat unique des journalistes italiens FNSI et initialement aussi à l’Ordre national des journalistes italiens, réponde aux besoins de ceux qui ont travaillé et travaillent hors des frontières nationales, dans une logique d’intégration à différents niveaux avec le journalisme et le monde des médias français, et plus généralement avec le secteur des médias au niveau international. Un modèle de travail (qui encore récemment était l’exception) créé au-delà des barrières et des frontières nationales, voué à devenir bientôt la norme.
Contributions
Le pari n’a été que partiellement gagné, aussi parce que le terrain dans lequel nous évoluons reste incertain, changeant, plein d’inconnues. Cependant, la possibilité donnée aux membres d’obtenir une protection auprès de la FNSI en Italie, auprès du SNJ en France et à l’international auprès de la FIJ, fait de notre association une communauté de professionnels intégrés dans les circuits continentaux et internationaux de la profession.
L’acquisition d’un statut n’est jamais donnée pour toujours et le paysage de la profession n’est pas rassurant, la grande question est de savoir comment étendre la protection au-delà des frontières.
Le challenge ClubMediaItalie/ClubMediaFrance reste permanent et ouvert à tous ceux qui croient que les métiers de l’information sont des outils indispensables au bien collectif. Alors même que le monde dystopique des mensonges s’oppose à toute idée authentique de progrès, notre plus grande aspiration reste celle de communiquer des mots vrais.
Giacomo Mazzone
Lorsque Paolo Valenti et quelques autres personnes enthousiastes et volontaires ont lancé l’idée du Club Media Italie il y a de nombreuses années, l’idée semblait en avance sur son temps. Dans une Europe de plus en plus intégrée, il était inévitable que les médias et leurs professionnels vivent normalement une triple identité : celle du pays d’accueil, celle du pays de naissance et celle de l’Europe.
Nous pensions alors que cette condition serait vécue par de plus en plus de collègues et qu’elle deviendrait tôt ou tard la norme pour toutes les générations Erasmus. Espérant peut-être que dans l’intégration qui progressait, nous, journalistes italiens, y gagnerions même, en nous rapprochant des garanties françaises, bien meilleures que les garanties nationales.
Au lieu de cela, quelque chose a mal tourné dans ce processus d’intégration attendu. Au lieu de cela, il y a eu, à la surprise générale, le Brexit, le repli sur les États-nations, auquel se sont ajoutés peu après et par superposition le COVID et même la guerre en Ukraine.
Ainsi, ceux qui avaient jeté leur dévolu sur la haie, faisant passer l’Europe avant les États de naissance ou d’adoption, se sont retrouvés seuls (ou presque). Certains même derrière les lignes « ennemies » (les collègues qui sont allés travailler en Grande-Bretagne), ou – ceux de Media Italie – dans des pays avec lesquels de vieilles rouilles de la mémoire lointaine ont refait surface, ressuscitées ad hoc par des chercheurs d’âmes.
C’est ainsi que je me suis souvenu des paroles de Kryzstof Zanussi, grand sage polonais et réalisateur d’origine italienne, qui me disait il y a trente ans : « Vous, les jeunes qui avez grandi en Occident, vous ne savez pas que l’histoire n’a pas un parcours linéaire, qu’elle peut aller par bonds, mais aussi parfois à reculons. Nous, en Europe centrale, nous le savons et nous ne l’oublions pas ».
Aujourd’hui, nous sommes à un moment de l’histoire de l’Europe où l’histoire doit décider de la voie à suivre : soit faire un saut vers une Europe plus intégrée, plus cohérente, avec moins de barrières, notamment culturelles, soit revenir en arrière, vers une Europe des nations, ce qui signifie alors une Europe où chacun suit sa propre voie et donc où tous les pays sont destinés à être sans importance dans le nouvel ordre mondial qui est en train de se dessiner devant nous. Que d’autres dessinent pour nous.
Une combinaison dont la première conséquence est que la profession de journaliste est de plus en plus négligée, appauvrie, réduite à une parodie de ce qu’elle était il y a vingt ans, avec de moins en moins de garanties d’indépendance professionnelle, moins de protection et des salaires très bas pour les nouveaux venus. Un mélange explosif qui a conduit à l’effondrement de l’INPGI en Italie et à la disparition ou à la quasi-disparition des « éditeurs purs », remplacés par des éditeurs « impurs », c’est-à-dire porteurs d’intérêts économiques, qui utilisent les médias pour protéger ou étendre d’autres intérêts : des soins de santé privés à la construction…
Le cas d’Euronews – qui a été à l’origine du Club Media Italie et a constitué un terrain d’entraînement au journalisme européen pour une génération de collègues italiens et non italiens – est exemplaire pour illustrer cette parabole. Chaîne d’information paneuropéenne, fondée en 1993, en réaction à la domination américaine représentée par CNN, à l’initiative de la télévision publique européenne (dont la RAI est le deuxième actionnaire), et avec le soutien de plusieurs gouvernements et de l’Union européenne, elle est depuis passée de main en main. Pour finir en 2022 sous le contrôle d’un groupe économique proche d’Orban, qui l’utilisera probablement pour faire campagne en 2024 en faveur d’une idée souverainiste de l’Europe….
Si cela se produit (comme tout le laisse à penser), nous serons face à une parfaite métaphore de la façon dont une idée peut se transformer en son exact opposé, en raison de l’incompétence et du manque de courage de ceux qui l’ont gérée.
Certains pourraient trouver ces notes pessimistes et désespérantes. Alors qu’elles sont tout le contraire : ce n’est qu’en comprenant bien les erreurs commises que l’on peut espérer changer de cap et atteindre l’objectif. Qui est et reste unique : travailler à la construction d’une opinion publique paneuropéenne et transnationale, qui fera prendre conscience aux citoyens qu’il n’y a pas d’alternative à la construction d’une Europe enfin unie et capable de parler d’une seule voix. Une Europe dont le préalable indispensable est une opinion publique commune. À créer avant qu’il ne soit trop tard, avant que notre continent ne devienne un continent de vieillards, avant que nos excellences n’aient toutes fui ailleurs …
En cela, l’exemple de la Grande-Bretagne, qui s’enfonce chaque jour un peu plus, pour avoir avec le Brexit poursuivi son rêve de faire cavalier seul, est un grand avertissement pour tous et pourrait nous être d’un grand secours.
Andrea Barolini
La financiarisation de l’économie a montré plus d’une fois toutes ses limites. Laisser la logique financière gouverner même des secteurs vitaux pour le développement de l’humanité, sans règles garantissant le respect des biens communs et des valeurs fondamentales de nos démocraties, représente un risque gigantesque, que nous courons sans nous en rendre compte. De l’énergie aux produits pharmaceutiques, de la santé aux ressources alimentaires, on sait aujourd’hui comment les acteurs de la finance sont capables d’altérer profondément les activités économiques. Lorsque les acteurs financiers acquièrent des médias, les considérant comme un « actif » comme un autre, les risques se multiplient. Des règles nouvelles, ciblées et efficaces sont nécessaires pour protéger un secteur qui n’est pas comme les autres, car il est fondamental pour la résilience des démocraties.
ClubMediaItalie peut concentrer ses activités, aussi et surtout, en lançant de nouvelles initiatives éditoriales promues directement par des journalistes, ce qui est la meilleure façon de garantir l’indépendance et le professionnalisme.
C’est une façon de semer les graines d’un nouveau modèle de développement, comme l’ont indiqué depuis longtemps de nombreux économistes de renommée mondiale. C’est aussi une façon d’essayer de jeter les bases pour surmonter la précarité dans le monde du journalisme, qui rend les professionnels de plus en plus soumis au chantage, car ils sont obligés de dire « oui » même à des conditions contractuelles et professionnelles inacceptables afin de pouvoir maintenir le « privilège » d’un petit revenu.
Francesco Rapazzini
Je voudrais rebondir sur ce qu’a dit mon ami Andrea Barolini et pointer du doigt la « dépendance » de notre profession à l’égard des volontés et non des financiers qui se moquent éperdument de l’information, si ce n’est pour exiger des journaux financés des capitaux investis et/ou des intérêts politico-financiers. Il en va de la liberté, de la dignité et de l’histoire de notre profession, aujourd’hui discréditée, et délibérément discréditée, par nos employeurs. Discréditée à tel point qu’il est presque devenu paradoxalement scandaleux de dire « je suis journaliste » ou « je travaille comme journaliste », puisque faire et être journaliste ne sont plus considérés comme des métiers, mais comme des activités annexes que tout le monde sait faire. Les vraies professions sont les ingénieurs, les médecins, les avocats, les comptables, ces professions que tout le monde ne « sait pas faire » parce que tout le monde « n’a pas fait d’études ». Avec l’avènement des médias sociaux, il y a eu une confusion – et ce n’est pas la faute de ceux qui utilisent les médias sociaux, mais de ceux qui les utilisent – bref, on a confondu le rôle de témoin avec celui de journaliste. Celui qui filme une scène de violence ou un ours gambadant dans une forêt est considéré comme un journaliste, un reporter et non plus et seulement comme un témoin. Cette confusion a conduit à la croyance et à la suggestion que nous sommes tous des journalistes. Il suffit d’être au bon endroit au bon moment. Une erreur qui s’est transformée en horreur. Car le néo-journaliste et peut-être aussi l’influenceur (donc l’annonceur) ne sait pas filtrer, ne sait pas contextualiser, ne sait pas faire toutes les actions et réflexions qu’un journaliste professionnel sait faire et fait toujours. Et alors, avec « nous sommes tous des journalistes », pourquoi payer décemment un journaliste professionnel si l’on peut payer indécemment un jeune étudiant Erasmus ou un vacancier en tongs qui sont ainsi gratifiés non seulement d’apparaître dans les journaux en ligne et imprimés mais aussi de recevoir une rémunération juste suffisante pour inviter sa copine à manger une glace.
Malheureusement, notre syndicat n’a pas su ou voulu, ou plutôt n’a pas vu venir, ce nouveau monde et cette nouvelle façon de faire du non-journalisme, qui a bouleversé notre profession au cours des dix dernières années. Une profession qui compte aujourd’hui plus de journalistes professionnels free-lance que de salariés, une armée qui n’est protégée par aucune mesure économique ni par la dignité du travail.